FRANCIS DEBYSER - Les travaux du Belc (J.M. Caré)

Résumé

     En vingt ans, de 1967 à 1987, année où il devient directeur-adjoint du CIEP, F. Debyser a fait du BELC une institution réputée pour ses stages de formation et travaux de recherche.

DIDACTIQUE DU FLE

De « La mort du manuel et le déclin de l'illusion méthodologique » à « Éloge du savoir-vivre... Pour tordre le cou au savoir-être » bon nombre de ses articles, dans le Français dans le monde et bien d'autres revues, ont fait date.

F. Debyser est à l'initiative de l'introduction d'un peu plus de plaisir et de créativité dans l'enseignement/apprentissage du FLE.

LANGUE

F. Debyser a participé à la création de l'AFLA (Association française de linguistique appliquée) et a fait bénéficier la recherche en didactique des apports de la linguistique structurale dans les années soixante puis, quand elle s'est diversifiée dans les années soixante-dix, de l'analyse de discours, de la sémiotique, de la pragmatique et de l'ethnométhodologie.

CIVILISATION

Dès son arrivée au BELC, F. Debyser a fait en sorte que langue et civilisation soient intimement liées dès le début de l'apprentissage en proposant sur le mode des pédagogies 

actives, des techniques de recherche-action.


=====

Article

     Lecteur à Catane, attaché culturel à Rome, agrégé d'italien, F. Debyser est nommé directeur-adjoint du BELC en 1965 par D. Girard qui a succédé à G. Capelle. Il en prend la direction deux ans plus tard.

En 20 ans, de 1967 à 1987, année où il devient directeur-adjoint du CIEP, il a fait de cette institution plantée à l'époque au beau milieu du Quartier Latin (au 9 de la rue Lhomond), une « boîte » renommée pour ses stages et ses travaux de recherche.

Adoptant un style de direction plutôt libéral, il a encouragé la création de petits groupes de travail pour lancer des pistes de recherche. Il en a animé lui-même un grand nombre en s'impliquant dans les trois grands axes qui ont fait la réputation du BELC : la didactique du Français Langue Étrangère (FLE), la langue, la civilisation.


Verbatim :

Ce groupe, que j'appelle de saltimbanques qui, l'été, plantait son cirque dans une université, était très peu hiérarchisé. Sans doute est-ce dû en partie à moi, mais aussi à une chance institutionnelle. Un ami québécois m'a dit un jour « elle est pas mal ta gang! ».


DIDACTIQUE

Certains des articles de F. Debyser ont fait date.

     En juin 1970, F. Debyser signe le texte introductif du numéro spécial de la revue Le Français dans le monde (FDLM) consacré au niveau 2. Ce niveau n'est, ni un niveau intermédiaire, ni un niveau moyen. Il ne peut être défini qu'en fonction d'une analyse critique des contenus linguistiques et de la pédagogie du niveau 1. Le niveau 2 doit renouveler en profondeur la didactique du FLE.

« La mort du manuel et le déclin de l'illusion méthodologique » paru dans FDLM n° 100 de novembre 1973, consacré à “l'enseignement des langues en l'an 2000ˮ, après une analyse critique des méthodes traditionnelles et contemporaines en usage, proposait déjà le recours aux techniques de simulation, préfigurant ainsi les travaux ultérieurs sur la simulation globale.

     En 1985, F. Debyser ouvrait aussi dans FDLM une nouvelle rubrique intitulée « En clair », avec un article qui, disait-il une vingtaine d'années plus tard, n'avait pas pris une ride. “De l'imparfait du subjonctif aux méthodes communicativesˮ sous-titré “Où en est l'enseignement des langues vivantes?ˮ refusait jargon, pédagogie savantasse ou terrorisme linguistique. La rubrique revendiquera clarté et précision sans parti pris simpliste. Belle occasion pour F. Debyser de rappeler que “Si certains termes nouveaux sont inutilement obscurs, celui de méthode communicative ne l'est pas, il est au contraire transparent et doit être pris à la lettre; une méthode communicative est une méthode qui enseigne et permet d'apprendre à communiquer en langue étrangèreˮ.

Les points faibles des méthodes structurales ou audio-visuelles esquissent quatre grandes orientations des méthodes communicatives : un retour au sens, une pédagogie moins répétitive, la centration sur l'apprenant, la prise en compte des aspects sociaux et pragmatiques de la communication.

     Ces recherches annoncent et explicitent ce que F. Debyser a engagé à partir de 1975 avec un petit groupe de travail sur le thème de la créativité et du jeu en FLE. Plaisir, désir et gai savoir, c'est dans cette joyeuse atmosphère que commence à travailler le petit groupe de la rue Lhomond. Dans une première période de créativité un peu brouillonne où, de brainstorming en échanges un peu compulsifs de références et d'idées, la bande partait un peu dans tous les sens. Il lui fallait d'abord recenser les apports de disciplines comme la psychologie, la linguistique, la pédagogie en matière de créativité pour ensuite redynamiser les pratiques en usage et en proposer de nouvelles.

                                                                    

F. Debyser aura été le maître d'œuvre de ce premier chantier et l'un des artisans les plus prolifiques.

     F. Debyser explore la néologie lexicale avec les Histoires d'Armalon, la syntaxe de la phrase avec celles des Chiens et des Armoires. Il construit des matrices discursives, de véritables machines conversationnelles : Les conversations de Paulette et Victor, 1982 * ou épistolaires (des lettres de vacances) : Les lettres de Paulette et Victor 1980, (des matrices) : « lettres de plainte ou de refus poli argumenté ».

Jeu, langage et créativité sort en 1978 chez Hachette (Collection Le Français dans le monde BELC). En se servant du support jeu de cartes, il met au point deux machines narratives Le tarot des mille et un contes (1977), inspiré des travaux du linguiste russe Vladimir Propp et Cartes noires (1982) pour construire et résoudre des énigmes policières.

Proche des oulipiens et amateur de romans policiers, ses travaux : Dix petits nègres d'Agatha Christie Pédagogie Moderne (1981), Encore un coup d'arquebuse (1981) suivi de Qui a tué Victor ? (1981) et Jus d'Oronge ou la mort d'un innocent (2 vol., BELC, 1984.*) lui ouvrent les portes de l'Oulipopo (Ouvroir de littérature policière potentielle).

     Ces jeux de langage n'avaient pas pour objectif de répondre à toutes les exigences d'un programme d'enseignement/apprentissage du FLE. Ils constituaient une composante méthodologique un peu négligée jusque-là, mais qui pouvait apporter à l'approche communicative naissante un peu de ce plaisir du langage que F. Debyser défendait haut et fort dans un environnement encore assez formaliste.

Fin octobre 78, Hachette publie La vie mode d'emploi de G. Perec. F. Debyser rencontrera G. Perec l'année suivante au 13 de la rue Linné. La toute première version de l'Immeuble sous-titrée « roman-simulation en 66 exercices », sort cette année-là sous forme de multigraphié BELC. Commence alors la deuxième étape de cette aventure créative. Il était temps de mettre un peu d'ordre, de rassembler tout ou partie des propositions antérieures dans un projet de création collective, de proposer une créativité moins centrée sur elle-même, au service d'une création cohérente et homogène.

Le roman-simulation devient la simulation globale.

     F. Debyser en donne très vite une définition qui permettra d'ouvrir de nombreux chantiers au sein de l'équipe mais aussi dans les stages (longs ou d'été) :

“Une simulation globale est un protocole ou un scénario-cadre qui permet à un groupe d'apprenants pouvant aller jusqu'à une classe entière d'une trentaine d'élèves, de créer un univers de référence : un immeuble, un village, une île, un cirque, un hôtel, de l'animer de personnages en interaction et d'y simuler toutes les fonctions du langage que ce cadre, qui est à la fois un lieu-thème et un univers de discours, est susceptible de requérirˮ.

La simulation globale est une tentative de reconstruction d'une partie du monde, d'un pan entier de réalité. Elle se fait à partir d'univers de petite taille, bien délimités (un immeuble, une île, un petit cirque familial, etc.), et sur un continuum spatio-temporel en trois grandes étapes : on invente le décor, des personnages, puis on suscite des événements.

La dynamique est lancée. D'autres simulations vont voir le jour. Avec moi et C. Estrade, F. Debyser lancera Iles qui sort en multigraphié au BELC en 1980. En 1986, Hachette édite L'Immeuble ouvrant une collection intitulée « CRÉER, ANIMER, RACONTER ». Je travaille sur Le Cirque avec C. Mata Barreiro, une simulation globale pour enfants qu'Hachette édite la même année dans cette collection et j'expérimente Le Village dans le cadre d'un stage d'été. F. Yaiche nous rejoint et nous commençons à problématiser la démarche : pédagogie mise en œuvre, civilisation et culture, stéréotypes, techniques d'animation. F. Debyser en fera une préface à la réédition de L'Immeuble (Hachette, 1996) : « L'Immeuble et les simulations dix ans après ». F. Yaiche soutient sa thèse de doctorat (Paris III - Sorbonne Nouvelle) en 1993 sur le thème « Les Simulations globales ». Cette thèse sera partiellement reprise dans un ouvrage qui synthétise la recherche et les publications de l'époque : F. Yaiche, Les simulations globales, mode d'emploi », Hachette. 1996.

     Déjà passé à l'acte avec l'écriture de polars, F. Debyser s'intéresse cette fois au roman d'arcades et compose, sur le mode de l'arborescence, La pyramide truquée *, un petit roman-jeu pour lecteurs littéraires (multigraphié, BELC, 1985). Initiatique, ce roman conçu pour inviter à la création, va, un peu dans la dynamique des simulations globales, en faire écrire d'autres. Dans la foulée sortiront, toujours en multigraphiés BELC, de F. Yaiche Douze taxes de base » et de P. Charrière « Parlez-vous branché ? ».

Sur cet axe, la didactique, F. Debyser aura été le théoricien éclairé, le maître d'oeuvre inspiré, l'artisan infatigable et le meilleur chef d'orchestre.

     Sa nomination au CIEP en 1987 comme directeur adjoint, malgré le côté un peu plus institutionnel du poste, ne le coupera pas brutalement de l'orchestre qui, délocalisé, emménagera en 1994 dans les locaux de Sèvres. C'est à cette époque que l'État français, par le ministère des PTT (« Postes, Télégraphes et Téléphones »), encourage le développement de la télématique.

Les PTT distribuent gratuitement les terminaux : le Minitel, l'ancêtre français d’Internet. F. Debyser s'intéresse à cette technologie qui révolutionne la communication à distance. Et, pour mieux la faire connaître à l'étranger, il lance de Sèvres vers l'Italie et l'Espagne des échanges télématiques entre établissements scolaires pour faire écrire des romans à plusieurs mains. La première expérience débutera en mars 1986 sous le titre « Le secret du portulan », pour connecter sur Minitel et faire écrire des apprenants de Sèvres, Madrid, Naples et Lisbonne. D'autres suivront, animées de Sèvres par F. Debyser : « La ligne orbitale », « Le serpent d'émeraude », « Carnets de Venance Fortunat » (1987-1988), « La pierre de Dolomieu », « La planète W » et « Le jeu de saint Nicolas » (1989), Cipango (1992), Trofeo (1993).

Ces expériences seront interrompues pour des raisons essentiellement matérielles : elles coûtaient assez cher, les machines tombaient en panne, les liaisons entre pays étaient assez complexes et demandaient l'intervention de techniciens encore trop rares à l'époque. Et puis, l'arrivée de l'Internet allait vite ringardiser le pauvre Minitel.


Verbatim :

On s'est alors aperçu que des apprenants jeunes, même des débutants avec un faible niveau et de faibles moyens pouvaient prendre du goût et s'exercer à la créativité sans attendre d'avoir 200 heures d'enseignement.


LANGUE

L'amateur de jeux avec et sur la langue, l'auteur facétieux de Plaisir et langage , une référence bibliographique introuvable parce que volontairement fictive, l'amoureux de la belle langue est aussi un bon linguiste quand il arrive au BELC.

     Les linguistes français découvrent la linguistique structurale à la fin des années cinquante et au début des années soixante, dans le contexte politique et socio-économique de la guerre froide entre l'URSS de l'époque et les États-Unis. Il y a alors une forte envie de changement et de nouveauté. La linguistique française redécouvre F. de Saussure et, à partir des théories behavioristes et structuralistes américaines, commence à concevoir des applications méthodologiques à l'enseignement des langues. La linguistique appliquée est née. Elle sera officiellement reconnue lors d'un congrès fondateur à l'université de Nancy en octobre 1964. Deux associations seront créées :

               - l'AFLA (Association française de linguistique appliquée),

               - l'AILA (Association internationale de linguistique appliquée).

À l'AFLA, A. Culioli sera nommé président et F. Debyser secrétaire. Suivront de nombreux séminaires et cours d'été (Besançon, Nancy, Grenoble et Marseille-Luminy).

     Succédant à G. Capelle et à R. Girard qui avaient déjà engagé le BELC dans des travaux consacrés à la linguistique et aux recherches américaines, F. Debyser va rester tout au long de sa carrière en relation étroite et parfois amicale avec les linguistes de cette époque. M. Gross, avec lequel il a travaillé dans les années soixante-dix sur Le lexique des constructions verbales * en est un exemple.

Dans un entretien à l'occasion des quarante ans du BELC, F. Debyser revient sur les débuts de ces travaux en linguistique appliquée centrés sur la phonétique et la phonologie (les exercices de prononciation de P. Léon) pour remarquer qu'en grammaire et syntaxe, il aura fallu un peu relativiser (voire déchanter) par la suite. Le recours trop systématique aux exercices structuraux, sans rapport avec la réalité de la communication, aura fait quelques dommages collatéraux.

     Le renouveau arrive dans les années soixante-dix avec les travaux de M. Arrivé, J.-C. Chevallier, J. Dubois, A. J. Greimas, M. Gross. La recherche se diversifie, ouvrant le voie à l'analyse de discours, la sémiotique, la pragmatique, l'ethnométhodologie (travaux d’E. Goffman).

L'approche communicative va bientôt détrôner la méthodologie SGAV (Structuro-Globale Audio-Visuelle). On s'intéresse aux discours de spécialités pour concevoir un français plus fonctionnel sur des objectifs spécifiques.


Verbatim :

Après la première vague du structuralisme pur, il y a eu l'éclatement de la linguistique à partir de 1970 qui a amené le développement de l'analyse de discours et de la sémantique.

Le BELC avait réuni un nombre important de jeunes chercheurs. A l'époque, A. Martinet, B. Pottier, A. Culioli, M. Gross, J.-C. Chevallier et bien d'autres nous envoyaient leurs meilleurs étudiants pour qu'ils continuent leurs travaux en travaillant au BELC et nous disposions d'une information de premier ordre sur ce qui se passait en sociologie, en sociolinguistique, en ethnographie de la communication.


DE CIVILISATION A CULTURE

Troisième axe des travaux du BELC, la civilisation va aussi mobiliser toute l'attention du tout nouveau directeur-adjoint et lui faire signer sa première contribution au FDLM (n° 40 avril-mai 1966), avec un article intitulé « Au Quartier Latin », un dossier pédagogique accompagnant une série de diapositives.

     Avec la diffusion en suppléments à la revue de disques (Sonofrance) et de diapositives, la civilisation, en s'articulant à la langue, devient une pratique pédagogique. L'année suivante, F. Debyser, dans la même revue (n° 48-49, 1967), renforce encore le statut de l'enseignement de la civilisation en tentant de mieux l'intégrer à la classe de langue.

Langue et civilisation doivent être intimement liées dès le début de l'apprentissage. Pendant une dizaine d'années LFDM multiplie la publication de dossiers pédagogiques sur la France contemporaine et la vie culturelle des français (« fiches A... Comme »). J.-C. Beacco et S. Lieutaud cosignent Moeurs et mythes en 1981. Dans une préface d'une dizaine de pages reprenant un article de 1975, « Lecture des civilisations *», F. Debyser énonce trois types d'approches permettant d'appréhender le fait culturel : l'approche sociologique, l'approche anthropologique, l'approche sémiologique.

Partisan des méthodes actives, F. Debyser propose aux enseignants et aux apprenants des pratiques d'enquête et de recherche d'indices. Cette démarche met cette fois la langue au service du fait culturel à étudier : lecture de documents authentiques, rédaction de questionnaires, interviews.

G. Zarate, qui rejoint le BELC en 1979, confirmera cette tendance et coordonnera un numéro spécial (« D'une culture l'autre ») du FDLM en 1983. La civilisation fait place à la culture et à l'interculturel. La même année, G. Zarate proposera à l'institution de réfléchir au statut de ce nouveau concept et à sa portée en didactique des langues (Spécial Anthobelc, Point de vue sur l'interculturel *). L'intervention de F. Debyser dans ce débat soulignera, au-delà des effets de mode, les risques d'abus de langage : le dialogue des cultures, la tentation de s'en tenir à la rencontre entre cultures cultivées, l'occultation de rapports de force entre les cultures : (cultures dominantes, cultures dominées).

     Effet de mode et abus de langage encore que F. Debyser va dénoncer dans un ultime pied de nez en 1996 dans Éloge du savoir-vivre... Et pour tordre le cou au « savoir-être ».

Le savoir-vivre peut s'apprendre et, donc, s'enseigner et s'évaluer. Mais que dire d'un savoir-être alors que trois mille ans de philosophie n'ont toujours pas pu préciser ce qu'était précisément l'être ? Qui peut vraiment prétendre être et oser apprendre aux autres à être ? Ambition exorbitante et naïve déclare F. Debyser.


Verbatim :

Entre 1960 et 1970, tous les trois ans, il y avait un effet de mode, qui d'ailleurs n'était pas uniquement un effet de mode, autour d'un discours de fondation qui proposait de nouvelles réflexions. Dans ces années, à côté des linguistes, le structuralisme est là, avec C. Levy-Strauss, J. Lacan, R. Barthes. Barthes, en particulier, avec son article dans la deuxième partie des Mythologies, a eu sur l'enseignement de la civilisation une influence considérable.


     Entre la mort du manuel et la mise à mort du savoir-être, que de naissances et de renaissances ! Maîtrisant aussi l'air du temps, F. Debyser avait-il lu J. A. Schumpeter ?

                    Jean Marc Caré, mars 2019


Pour retrouver les publications de F. Debyser évoquées dans ce texte et marquées d'un *, on consultera, sur le site du CIEP, la rubrique Mémoire(s) du BELC. Elles ont été numérisées.

Douze taxes de base de F. Yaiche et Parlez-vous branché ? de P. Charrière ont fort heureusement été réédités par Posidonia Éditions, 8 rue Alphonse de Lamartine, 06150 Cannes dans la collection « Les Archives Exhumées ».