A. TOMATIS -1 (V. Thivin)
« Tout est mémoire... L’être vivant ressent, retient. L’organisme n’oublie jamais rien. La génétique a découvert le code suivant lequel le message héréditaire est transmis indéfiniment. En se reproduisant, l’individu continue son existence de génération, éternellement. Le monde où il vit le transforme. À la complexité des facteurs mêlés dans le patrimoine héréditaire s’associe celle des éléments de l’environnement. Distinguer les uns des autres est une grande partie de notre tâche. » Roger Debré, La Vie est moléculaire.
Introduction :
Comme Jean-Marc Itard, Édouard Seguin, Ovide Decroly, Maria Montessori, John Dewey ou Édouard Claparède, Alfred Tomatis appartient à la lignée de ces hommes de sciences s’étant passionnés pour la pédagogie.
Toutefois, l’originalité d’A. Tomatis est d’avoir considéré le système auditif comme le centre moteur intervenant dans tout processus d’acquisition. Il nous a donc paru profitable de nous intéresser à son travail.
Aussi, l’analyse qui suit débutera-t-elle par une présentation du docteur A. Tomatis, se poursuivra par une rapide explication de ses théories et travaux récensés dans des livres dont certains seront succinctement résumés avant de nous consacrer à une étude plus détaillée de L’Oreille et le langage.
I) Quelques informations préliminaires :
Fils de la célèbre basse Humbert Tomatis, A. Tomatis est né à Nice en 1920.
Très tôt sensibilisé aux troubles auditifs et vocaux des musiciens, il embrasse la carrière d’oto-rhino-laryngologiste.
Diplômé de la Faculté de Médecine de Paris en 1944, A. Tomatis examine de nombreux chanteurs se plaignant de la diminution de leurs perfomances, puis mène des recherches portant sur la surdité professionnelle pour le Ministère du Travail et le Ministère de l’Air et des Arsenaux.
Ses très nombreuses observations cliniques ainsi qu’une série d’expériences qu’il réalise notamment avec son père, lui permettent dès 1947 de confirmer la justesse de son intuition concernant un rapport de dépendance existant entre l’audition et la phonation et d’en déduire une analogie pour l’écoute et la communication.
Sur cette base, A. Tomatis crée une méthode de rééducation de la voix fondée sur une rééducation de l’oreille.
Cette rééducation s’effectue à l’aide d’une machine dénommée « oreille électronique » qui, présentée à l’Exposition Universelle de Bruxelles en 1958, vaut à son inventeur la Médaille d’Or de la Recherche Scientifique comme en 1962, la Grande Médaille de Vermeil de la Ville de Paris.
Mais la méthode Tomatis ne se limite bien sûr pas à l’utilisation d’une machine. Établie sur un procédé inovant qualifié d’audio-psycho-phonologique, sa pratique exploite une large palette de connaissances scientifiques s’intéressant à l’évolution de la nature humaine.
A. Tomatis défendit ses théories lors de nombreuses conférences qu’il donna entre autres à l’Académie des Sciences et à l’Académie de Médecine de Paris comme dans les livres qu’il écrivit.
Il expliqua également son système dans ses cours alors qu’il enseignait à Paris à l’École d’Anthropologie et à l’Ecole des Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique ainsi que dans différentes universités anglo-saxonnes.
Selon lui, sa méthode, loin de n’améliorer que les capacités audio-phonologiques de ses patients exercerait son action sur l’ensemble de leur organisme. Ainsi, dans La Nuit utérine, il rapporte de premiers résultats qu’il avait obtenus en 1947 :
« La vie neuro-végétative se trouvait modifiée, le sommeil reprenait son rythme, les cauchemars disparaissaient, l’appétence normale remplaçait la boulimie ou l’anorexie ; le comportement tendait à se normaliser, oscillant autour d’un point d’équilibre et allant de l’attitude trop affectueuse à l’agressivité très marquée. Le désir de communiquer s’installait tandis qu’une meilleure écoute se manifestait au niveau d’une attention plus soutenue, d’une présence plus grande au sein de l’environnement. »
Aussi, vint-il en aide à de nombreuses personnes (parmi lesquelles Maria Callas, Romy Schneider ou Gérard Depardieu) dont le métier demande une parfaite maîtrise de la voix et de l’élocution, mais traita également des femmes enceintes, des dépressifs, des dyslexiques, des malades frappés du vertige dit de Ménière , d’autres atteints par le syndrome de Down , des autistes et d’autres handicapés souffrants de différents retards psychomoteurs.
Les résultats des recherches réalisées par A. Tomatis ont été vérifiés par d’éminents experts parmi lesquels en 1957, le docteur ès Sciences et Maître de recherches au C.N.R.S., Raoul Husson.
Estimé dans le milieu scientifique, A. Tomatis fut directeur du laboratoire de Psycho-Physiologie Acoustique du Centre d’Essais des Propulseurs de Sarclay, membre Honoris Causa du Dorstmundt-Institut de Munich (Allemagne) ainsi que de la faculté de psychologie de l’université de Potchefstroom (Afrique du Sud).
Il fut aussi reçu Chevalier de la Santé Publique en 1951, obtint le prix Clémence Isaure en 1967, remporta la médaille d’or de la Société « Arts, Sciences et Lettres » en 1968, fut nommé Commandeur du Mérite Culturel et Artistique en 1970 et fut décoré de la médaille d’honneur de la Société d’Encouragement aux Arts et Lettres en 1992.
Décédé en 2001, A. Tomatis a gardé de nombreux adeptes.
L’efficacité de sa méthode est en effet aujourd’hui reconnue par bien des enseignants, linguistes, musiciens, psychologues, professeurs de chant, orthophonistes, kinésithérapeuthes et autres spécialistes de la communication et de l’expression.
Les quelques deux cents centres de recherche et de soin implantés dans le monde entier ainsi que les écoles proposant des cours de langues étrangères fondés sur la pratique des techniques élaborées par A. Tomatis en offrent la preuve.
Éclaircissons donc dès à présent en quoi consiste cette méthodologie.
II) Explication succincte de la méthode Tomatis :
La méthode Tomatis peut se comprendre comme une pédagogie de l’écoute.
Cette pédagogie a été forgée à partir de trois lois constitutives de l’“effet Tomatis”.
Ces trois lois reposant sur l’idée qu’audition, phonation et productions du système nerveux sont des phénomènes inséparables, se résument par le fait que tout d’abord la voix n’est que l’écho de ce que l’oreille entend, qu’ensuite si l’audition est changée, la voix est instantanément transformée et qu’enfin, des exercices de stimulation auditive peuvent durablement corriger une phonation ou une élocution défaillante.
Cette stimulation auditive se pratique à l’aide de l’oreille électronique précédemment mentionnée.
Cet appareil permettant de transformer et de filtrer les sons peut également modifier les temps de latence auditive, intervenir sur la précession de la conduction osseuse (antérieure à la conduction aérienne) et jouer avec la latéralité opposant l’oreille droite à l’oreille gauche.
Se fondant sur un certain nombre de principes et conjectures concernant le fonctionnement auditif, le praticien recourant à l’oreille électronique stimulerait ainsi le désir d’écouter de son patient et par répercussion son aspiration à communiquer.
La rééducation audio-vocale s’effectue en plusieurs étapes.
La première d’entre elles, se déroulant sur une heure trente, consiste en un bilan audio-psycho-phonologique. Durant ce bilan, l’éventuel futur client est d’abord interrogé sur son passé, puis subit une série de tests dont le plus important est bien sûr un test d’écoute. Cela fait, le dit éventuel futur client s’entretiendra avec un consultant ayant pour fonction de l’informer sur les besoins que le bilan aura décelés.
Le nombre de séries de séances proposées dépend du niveau de difficultés perçues chez le sujet testé.
La première série dure trente heures, les autres seulement quinze.
Chaque séances nécessitant une demi-heure, il est conseillé aux personnes intéressées par cette méthode de suivre quatre séances successives, 15 jours d’affilée. Ensuite, après un arrêt de trois à six semaines et un nouveau test, une ou plusieurs demi-heure(s) pendant huit jours sont recommandées en vue de mieux ancrer voire d’améliorer les résultats déjà obtenus.
Enfin un dernier contrôle est souhaitable six mois après avoir arrêté ces programmes.
Le programme se compose de deux grandes phases.
La première place le sujet en situation d’écoute passive.
Le dit sujet, muni d’un casque et d’un vibreur est alors soumis à des stimulations auditives. La musique utilisée comme réactif initial est de plus en plus filtrée jusqu’à être perçue comme l’entendrait un foetus dans le ventre de sa mère.
Lorsque cela est possible, c’est d’ailleurs souvent la voix de la mère biologique de la personne traitée qui est donnée à écouter à la place de la musique.
Puis, afin de permettre au patient de retrouver un mode de communication normal, suivant un processus inverse, la voix ou la musique est progressivement défiltrée.
Durant toute cette première phase, le sujet n’a pas besoin d’être très attentif. Il peut parler et doit dessiner. Ses productions sont ensuite conservées en vue d’être ultérieurement analysées par le praticien qui en observera l’évolution.
Les résultats obtenus lors de cette première phase sont une amélioration du sommeil, un équilibrage de l’appétit et une modération des comportements excessifs. Ainsi le sujet traité paraît-il moins nerveux, moins angoissé et plus expansif. Les enfants se montrent plus curieux et plus désireux d’agir. Les turbulents s’assagissent et les introvertis s’ouvrent aux autres.
En outre, lors de la rééducation de jeunes enfants, des séances spécifiques sont prévues pour les parents dont la participation active est attachée à la réussite du traitement.
La deuxième phase du programme demande une participation active du sujet.
Durant cette phase, le patient muni d’un micro doit en effet répéter des fragments de textes parlés et chantés qu’il a eu à écouter.
Grâce à l’oreille électronique, le son est alors réglé de manière à ce que le patient puisse de plus en plus contrôler sa voix en recourant à son oreille droite dont l’écoute permettrait une meilleure production orale mais aussi écrite.
Des exercices effectués durant les séances comme à domicile apprennent alors au patient à maîtriser le travail de son oreille droite qu’il pourra ensuite utiliser de façon automatique toutes les fois où il aura à se concentrer ou à produire un énoncé.
III) Bibliographie commentée :
A. Tomatis a publié de nombreux travaux.
Abstraction faite des ouvrages collectifs comme des différents articles qu’il a écrivit pour la presse spécialisée, ses livres L’Oreille et le langage (1963), Éducation et dyslexie (1971), La Libération d’Oedipe (1972), De la Communication utérine au langage humain (1972) Qu’est-ce que l’Écoute humaine et Qu’est-ce que l’Oreille humaine ? (1974), L’Oreille et la vie (1977), La Nuit utérine (1980), L’Oreille et la voix (1987), Les Troubles scolaires (1989), Vertiges (1989), Neuf Mois au paradis (1989), Nous sommes tous des polyglottes (1990), Pourquoi Mozart (1991) et Écouter l’univers (1996) nous offent un aperçu de sa production.
En outre, nombreux de ces textes ont été traduits en allemand, en anglais, en espagnol, en grec, en hollandais, en italien, en japonais et en portugais.
Dans Éducation et dyslexie A. Tomatis, soulignant que la dyslexie est un trouble touchant un tiers des enfants scolarisables, affirme que ce dysfonctionnement peut être facilement corrigé.
Pour ce faire, le soutien de la famille, des pédagogues, d’un psychologue, d’un médecin et finalement de tous est bien sûr nécessaire. En outre, l’accès à une scolarité normale est rendue possible par la rééducation de l’oreille droite qui, chez le sujet atteint, n’est pas convenablement utilisée.
Les nombreuses anecdotes rapportées dans Qu’est-ce que l’Écoute humaine ? prouvent que le processus d’écoute est largement dépendant de l’état psychologique dans lequel se trouve l’auditeur.
Par ailleurs, vulgarisant également ici des connaissances physiologiques de l’appareil audio-phonologique, A. Tomatis prépare son lecteur à la compréhension de Qu’est-ce que l’oreille humaine ?
Qu’est-ce que l’oreille humaine ? offre doublement l’occasion à A. Tomatis de montrer ses qualités de pédagogue. En effet, tout d’abord désireux d’expliquer à ses lecteurs ce qui se passe toutes les fois où ils écoutent et créent des énoncés, il leur soumet des bases de psychologie et de neuro-physiologie de l’appareil audio-phonologique. Puis, orientant ces connaissances théoriques vers des applications visant à aider les apprentissages, A. Tomatis donne également une leçon d’altuisme et de modestie à tous les enseignants à qui il recommande douceur, patience et repect.
La Nuit utérine est le fruit de 25 ans de recherches. S’adressant en premier lieu aux futurs parents et aux parents de jeunes enfants, A. Tomatis prouve que le foetus de quatre mois et demi (et peut-être même plus jeune encore) entend parfaitement la voix de sa mère.
Afin d’y parvenir, le foetus opère une sélection lui permettant de ne pas faire cas des battements cardiaques, des souffles respiratoires ou des borborygmes maternels. Ce phénomène de sélection est comparable à celui réalisé par l’oreille électronique.
De fait, la méthode Tomatis se définira désormais définitivement comme une rééducation permettant de se réapproprier les modalités de cette sélection et non plus comme une éducation s’établissant sur un terrain vierge.
Profitable à tous ceux qui s’intéressent au processus d’acquisition de langues étrangères, cet ouvrage soutient que le foetus ayant régulièrement entendu sa mère parler une langue quelle qu’elle soit, sera, après avoir été soumis à la méthode Tomatis, en mesure de la parler sans autres enseignements.
Les Troubles scolaires apporte des conseils aux parents et aux enseignants se trouvant face à des enfants montrant des difficultés d’apprentissage. Selon A. Tomatis, un élève en difficulté est loin d’être stupide. Enfant angoissé, il dépense seulement mal à propos son potentiel. Quelques exercices de rééducation auditive et un peu d’encouragement de la part de son entourage lui permettront d’ailleurs de très rapidement atteindre le niveau de ses camarades de classe considérés plus doués voire plus intelligents.
Dans Vertiges, A. Tomatis affirme que sa méthode est également capable de soigner les malades atteints du vertige dit de Ménière. Loin de ne s’attaquer qu’à la pathologie même, le travail d’écoute auquel sont soumis les patients, permet également de les libérer de leurs souffrances psychologiques.
Cette découverte amène A. Tomatis comme tous les spécialistes de l’oreille à reconsidérer les fonctions de cet organe jusqu’alors apprécié comme seulement capable de jouer un rôle au niveau de l’équilibre et de la perception passive des sons.
Neuf Mois au paradis traite une nouvelle fois de la question de la vie pré-natale.
Dans cet ouvrage A. Tomatis commence par une série de témoignages démontrant que nous garderions tous la nostalgie de nos neuf premiers mois d’existence. Or, l’oto-rhino-laryngologiste certifie que des exercices auditifs appropriés permettraient de faire ressurgir ce bien-être extrême que nous ressentions alors.
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