OUFLEPO ? (J.-M. Caré)


- Ça sera Ouflepo.

- Comme « Enfin ! Quelle chance !» ?

- On peut voir ça comme ça… Le pot avec un T, la chance, le bol, quoi. D’autant que ce po final c’est l’abréviation de potentiel, tout ce qui est encore possible, en germe, en puissance, à venir. Du pot et le ciel comme horizon.

- Mais pourquoi OUF ?

- C’est pas OUF, c’est OU et FLE.

- Alors OU, c’est quoi?

- Ouvroir, quelque chose qui va permettre d’ouvrir une porte, de franchir une barrière, peut-être un mur, de créer de l’espace.

- Comme un ouvre-boîte alors, mais en plus chic ? Ouvroir, c’est pas pour les conserves, ça fait plutôt bijou, non ?

- Oui, c’est vrai. Il y a quelque chose de plus noble, de plus solennel dans cette ouverture-là. On ouvre en grand, en large. C’est cette largesse d’esprit, ce sens de l’hospitalité qui a conduit les premiers oulipiens à ouvrir à d’autres, à accueillir d’autres ouvroirs : après Oulipo, Oulipopo ( Ouvroir de littérature potentielle policière ), Oupeinpo ( Ouvroir de peinture potentielle ), Oumupo ( Ouvroir de musique potentielle ), Oubapo ( Ouvroir de bande dessinée potentielle ) et, maintenant, Ouflepo.

- Donc, un ouvroir de FLE. Mais, c’est quoi le FLE ?

- Français Langue Etrangère, ça regroupe tout ce qui concerne l’enseignement du français et son apprentissage par des gens pour qui ce français n’est pas leur langue maternelle.

- Mais, alors, on peut tout ouvrir ?

- Sur le mode OuXpo, oui. Il y a encore l’Oucuipo ( la cuisine ), l’Outrapo ( la tragi-comédie ), l’Ousopo ( le son ).

- Vous avez dit l’OuXpo ! Un ouvroir de X ? De porno ?

- Monsieur Thibaut ! Voyons ! On nous la fait souvent celle-là ! Ah ! Mais vous ! Depuis que vous avez quitté la place d’Italie pour la place Blanche, vous avez bien changé ! Mais, non. En fait, c’est le petit x des matheux, la première valeur inconnue, une variable qui peut accueillir toutes les formes de détermination par la suite. L’OuXpo pourra donc s’ouvrir à beaucoup d’autres choses encore.

- Tiens, c’est curieux, votre remarque me rappelle aussi qu’à l’origine, l’Oulipo a flirté avec les mathématiques puisque des écrivains comme Raymond Queneau, Jacques Roubaud, Georges Perec et bien d’autres encore ont travaillé sous la « dictature débonnaire « de son « fraisident-pondateur «, le matheux François Le Lionnais.

Il faudra que vous m’expliquiez comment on fait des maths en littérature… Mais, avant, dites-moi, comment on ouvre ?

- Au moins de deux manières. On libère, on fait sauter les verrous, on change les règles et on ouvre à la différence. On apporte du nouveau, du neuf.

Oulipo, par exemple… Les oulipiens ont mis la littérature sous contrainte. Ils ont commencé à écrire à partir de règles assez formelles, par exemple en se privant d’une voyelle. Georges Perec a poussé la règle à son maximum en écrivant un roman entier « la disparition « sans une seule lettre E !

- Des contraintes qui libèrent en somme.

- Oui, ça sent un peu l’oxymore. Mais c’est un peu ça, et, pour filer la métaphore animalière, ils ont très bien décrit ça en se comparant à « des rats construisant leur propre labyrinthe «.

- Bon, pour la littérature, je comprends. On passe par la langue et je vois bien quel type de contraintes on va pouvoir utiliser. C’est vieux comme le monde, d’ailleurs, les anagrammes, lipogrammes et tous ces jeux aux noms bizarres. Mais pour ce que vous appelez le FLE ? Je vois mal. Ce français, là, il est différent du français des oulipiens ? Etranger ? Comment ?

- Au tout début, pour celui qui l’apprend, il est même complètement inconnu, étranger donc et presqu’étrange. Il faut le rendre facile d’accès, familier, petit à petit, progressivement, en commençant par l’oral. L’écrit viendra plus tard. Dans les manuels, l’oral est présenté sous la forme de dialogues. Ce sont aussi des réservoirs de formes lexicales et grammaticales à programmer. Ecrire des textes qui contiennent ces éléments est une des premières contraintes en FLE.

- Un peu comme les oulipiens alors ?

- Oui, d’ailleurs des écrivains s’y sont essayés. Au début des années soixante, Eugène Ionesco a écrit une trentaine de dialogues pour la méthode de Fle « Mise en train « conçue aux Etats-Unis par Michel Benamou. Une vingtaine d’années plus tard, Alain Robbe- Grillet qui enseignait à l’Université de New-York a écrit, à la demande de sa collègue Yvone Lenard, « Le Rendez-vous «, un manuel de FLE de huit chapitres correspondant au programme grammatical et lexical des huit semaines d’un trimestre universitaire. Il en fera par la suite un roman paru en France « Djinn, un trou rouge entre les pavés disjoints «.

- Il n’y en a pas eu d’autres ?

- Non, pas à ma connaissance. Il y aurait encore beaucoup à faire dans ce domaine, mais il faut aussi s’intéresser à la didactique. Le FLE ne s’enseigne et ne s’apprend pas de la même façon que la langue maternelle des Français. En plus d’un siècle de réflexion, de recherches et d’expérimentation, se sont développées des méthodes bien particulières. Et la didactique du FLE est entrée à l’université par la grande porte.

- Et, côté spécialistes du FLE, personne n’a été tenté par ce côté plaisir du langage, par ces formes créatives de production de sens, par ces jeux sur et avec la langue ?

- Il y a eu des tentatives. On vient d’en voir quelques-unes avec les écrivains. Nous irons à la rencontre des singuliers, de ceux qui ont osé des approches originales, parfois bizarres et farfelues, les fous du FLE. Nous revisiterons les propositions d’une époque où langage et plaisir ne faisaient pas scandale, où la créativité réanimait une didactique un peu sclérosée. Nous réactualiserons les recherches et travaux d’une petite équipe qui, au BELC ( Bureau pour l’étude des langues et des cultures ), sous la direction de Francis Debyser, aura soutenu cette démarche. Nous n’oublierons pas les malices de Marc Argaud, l’enseignant poète du CREDIF (Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français ).

- C’est un travail de documentaliste, d’archiviste, de conservateur. Vous n’avez pas peur du côté musée ou anciens combattants de l’affaire.

- Toute honte bue, nous reparlerons de vous, Monsieur Thibaut, de votre famille, de l’anniversaire de Catherine, et vous verrez, ce sera très drôle. Du passé, jamais de table rase. Et puis, nous lancerons des appels à témoignages, compléments d’enquêtes, contributions. N’oubliez pas OUvrir et POtentiel !


Jean marc Caré Avril 2018