Rire des difficultés grammaticales avec R. Queneau, E. Labiche et R. Devos (V. Thivin)

     Les textes proposés aujourd’hui amèneront à réfléchir sur des points de grammaire. Deux répliques de « La Grammaire » d’E. Labiche énonceront des règles. Une autre réplique d’E. Labiche, mais tirée de « Doit-on le dire ? » et les extraits retenus de Zazie dans le métro de R. Queneau et de « Ouï dire » de R. Devos souligneront des faits singuliers.

En cours de FLE, ces passage pourront, si ce n’est contribuer à l’apprentissage d’une grammaire française réputée difficile, aider à dédramatiser les craintes que les apprenants pourraient ressentir.


RAPPEL :


• R. Queneau (1903-1976) est un romancier, poète et dramaturge français. Il est aussi le cofondateur de l’Oulipo. Son roman Zazie dans le métro a été publié en 1959.

• E. Labiche (1815-1888) est un dramaturge français. Doit-on le dire ? et La Grammaire ont été représentés la première fois en 1862 et 1867.

• R. Devos (1922-2006) est un humoriste franco-belge. Son sketch « Ouï dire » date de 1989.


     L’épisode extrait de Zazie dans le métro de R. Queneau dans lequel Trouscaillon et Marceline se débattent avec la conjugaison du verbe « se vêtir » souligne avec humour combien, même un locuteur natif, peut éprouver de difficulté à correctement utiliser certains verbes :

“- Je me vêts, répéta-t-il douloureusement. C’est français ça : je me vêts ? Je m’en vais, oui, mais : je me vêts ? Qu’est-ce que vous en pensez, ma toute belle ?

- Et bien, allez-vous-en.

- Ça n’est pas du tout dans mes intentions. Donc, lorsque je me vêts…

- Déguise…

- Mais non ! pas du tout !! ce n’est pas un déguisement !!! qu’est-ce qui vous a dit que je n’étais pas un véritable flic ?

Marceline haussa les épaules.

- Et bien vêtez-vous.

- Vêtissez-vous, ma toute belle. On dit : vêtissez-vous.

Marceline s’esclaffa.

- Vêtissez-vous ! vêtissez-vous ! Mais vous êtes nul. On dit vêtez-vous.”, R. Queneau, Zazie dans le métro, Paris, Gallimard, 1996, p. 167.

Les deux personnages ne parvenant pas à se mettre d’accord décident alors de consulter le dictionnaire :

- Merde, c’est d’un compliqué… Ah ! enfin, des mots que tout le monde connaît… vestalat… vésulien… vétilleux…euse… ça y est ! Le voilà ! Et en haut d’une page encore. Vêtir. Y a même un accent circonchose. Oui : vêtir. Je vêts… là, vous voyez si je m’exprimais bien tout à l’heure. Tu vêts, il vêt, nous vêtons, vous vêtez… vous vêtez… c’est pourtant vrai… vous vêtez… marant… positivement marant…”, ibid., p. 168.

N’étant pas convaincu, Trouscaillon cherche ce qui est dit pour le verbe « dévêtir ». Tout excité par sa trouvaille, le personnage passe immédiatement de la théorie à la pratique, mais, bien moins intéressé par la conjugaison que par la signification du verbe en lui-même, il opte finalement pour une stratégie d’évitement pour le moins désopilante :

“[…] dévêtir… voyons voir… déversement… déversoir… dévêtir… Le vlà. Dévêtir vé té se conje comme vêtir. On dit donc dévêtez-vous. Eh bien, hurla-t-il brusquement, eh bien, ma toute belle, dévêtez-vous ! Et en vitesse ! À poil ! à poil !”, ibid., p. 169.

     Dans la scène 3 de La Grammaire d’E. Labiche, Caboussat éprouve également de grosses difficultés lorsqu’il essaie d’étudier la matière à l’aide d’un manuel visiblement peu adapté à ses connaissances. Néanmoins, cette fois, c’est une règle liée à l’accord du participe passé qui est directement donnée à entendre au public :

“CABOUSSAT, lisant et à lui-même. – « Nota.- On reconnaît mécaniquement que le participe suivi d’un infinitif est variable quant on peut tourner l’infinitif par le participe présent. » (parlé.) Il faut tourner l’infinitif par le participé… Ah ! j’en ai mal à la tête !”, La Grammaire, in E. Labiche, Théâtre II, Paris, Robert Laffont, 1991, p. 492.

Cela dit, dans cette pièce, Caboussat ne semble pas le seul à ne rien comprendre aux règles de grammaire. Dans la scène 8, la lettre que son futur gendre, fils de Poitrinas, le président de l’académie d’Étampe, a écrite à son père en atteste. Or, là, difficultés à bien conjuguer et à correctement accorder le participe passé s’additionnent :

POITRINAS. – Une lettre qu’il m’a adressée il y a huit jours… et que je vous soumets avec confusion.

CABOUSSAT. – Vous m’effrayez !... voyons. (Lisant.) « Mon cher papa, il faut que je te fasse un aveu dont dépend le bonheur de toute ma vie… »

POITRINAS, à part. – Dépend avec un t… le misérable !

CABOUSSAT, lisant. – « J’aime mademoiselle Blanche d’un amour insensé, depuis que je l’ai vue… »

POITRINAS, à part. – Vu… sans e !… Le régime est avant, animal !”, Ibid., p. 501.


     L’humour chez E. Labiche, est régulièrement produit par de nombreuses autres considérations sur la langue en général et la grammaire en particulier. Le procédé assez classique amenant, du fait d’un simple changement de temps d’un verbe, une modification importante d’un énoncé, fonctionne toujours plutôt bien. La phrase extraite de la scène 14 de l’acte I de Doit-on le dire ? durant laquelle Muserolle qui s’entretient avec Gargaret, promet à son ami de l’avertir de la future inévitable infidélité de son épouse, en est un exemple :

Ma femme me trompait, tu me l’as dit… ta femme te trompera, je te le dirai !”, Doit-on le dire ?, in E. Labiche, Théâtre II, op. cit., p. 804.

Ici en effet, ce n’est pas le contenu des propos de cette phrase qui amuse le public, mais sa construction de structure avec une première partie qui sert de calque à la seconde ; seconde se démarquant de son modèle par l’interversion de ses pronoms personnels et le changement de ses temps verbaux.

Enfin, dans le sketch « Ouï dire », R. Devos s’amuse lui aussi avec la conjugaison d’un verbe. Cette fois cependant, aucune dénonciation d’erreur grammaticale n’est pointée, aucune correction n’est effectuée, aucune règle n’est mentionnée. Seules des considérations portant sur des singularités du français sont apportées par un faux naïf :

Il y a des verbes qui se conjuguent très irrégulièrement. Par exemple, le verbe OUÏR. Le verbe ouïr, au présent, ça fait : j’ois… j’ois… Si au lieu de dire « j’entends », je dis « j’ois », les gens vont penser que ce que j’entends est joyeux alors que ce que j’entends est peut-être particulièrement triste.

Il faudrait préciser : « Dieu, ce que j’ois est triste ! »

J’ois…

Tu ois…

Tu ois mon chien qui aboie le soir au fond des bois ?

Il oit

Oyons-nous ?

Vous oyez…

Ils oient.

C’est bête !

L’oie oit. Elle oit, l’oie !

Ce que nous oyons, l’oie l’oit-elle ?

Si au lieu de dire « l’oreille », on dit l’« ouïe », alors : l’ouïe de l’oie a ouï.

Pour peu que l’oie appartienne à Louis : « L’ouïe de l’oie de Louis a ouï. »

« Ah oui ? Et qu’a ouï l’ouïe de l’oie de Louis ? »

« Elle a ouï ce que toute oie oit… »

« Et qu’oit toute oie ? »

« Toute oie oit, quand mon chien aboie le soir au fond des bois, toute oie oit : ouah ! ouah ! Qu’elle oie l’oie !... »

Au passé, ça fait J’ouïs… J’ouïs ! Il n’y a vraiment pas de quoi !”, R. Devos, À plus d’un titre, Paris, France Loisirs, 1989, pp. 62 et 63.


BILAN :


L’objectif visé en proposant ces « morceaux choisis » est avant tout de rappeler aux enseignants l’existence de textes littéraires susceptibles d’accompagner leurs cours de grammaire.

La prise en considération de ces textes n’exclura pas l’apprentissage « par cœur » des règles de la grammaire par les apprenants. Toutefois, la lecture de ces derniers permettra aux enseignants de faire raisonner, de façon amusante, sur le fonctionnement du français.