Olivier Salon pour prestement prononcer [RS] (V. Thivin)

     Le système solaire est le thème sur lequel les oulipiens se pencheront lors des « Jeudis de l’Oulipo » de la saison 15 octobre 2020 - 17 juin 2021.

La séance du 21 janvier dernier était dédiée à la planète mars.

Pour cette occasion, Olivier Salon composa un texte particulièrement attrayant dans lequel, les mots français écrits avec les lettres « r » et « s » qui se suivent, sont passés en revue.

En écoutant Olivier Salon lire sa pétillante composition à voix haute(1), j’ai immédiatement pensé que cette dernière pourrait se montrer des plus stimulante pour exercer la prononciation.

Un grand merci à Olivier pour l’autorisation qu’il m’a accordée de placer son écrit sur le site de l’Ouflepo.


Mars

Lecture BnF du 21 janvier 2021


Mars, mars, mars !

Ça sonne, ça claque, ça tonne.

Un coup sec et bref : mars !

Mais voilà : qu’y a-t-il donc de si particulier à mars ?

Certes, mars est un mot bref, un mot qu’on dit d’un seul jet de voix, un mot formé de quatre lettres, dont une seule voyelle.

Mais cela ne suffit pas à dire l’originalité de mars.

Quatre lettres toutes prononcées, voilà qui est déjà plus précis.

Mars, mars, mars.

À bien écouter mars, ce qui le caractérise, c’est l’improbable succession du r et du s, des sons r et s dans cet ordre : rs, rs.

Tel quel, ce n’est pourtant pas simple à prononcer, rs.

Mais dès lors que l’on place une voyelle devant, ça change tout : arse, erse, irse, orse, urse, ourse, etc. et c’est précisément cela que je voudrais faire entendre aujourd’hui, en farcissant ma narration de rs, tout comme dans le mot farcissant.


     J’étais donc parti en excursion, dans une lointaine contrée, afin de rencontrer les autochtones aux mœurs bien étranges, et ceci se passait aux abords de Bures-sur-Yvette. Les arbres étaient là clairsemés, mais j’avais pu faire une halte entre quelques arceaux formés de morceaux d’écorce. De mes lèvres gercées, émanaient quelques sonnets d’Albert Samain, et leurs tercets notamment résonnaient imperceptiblement. Je me rappelais aussi que « ma mère était mercière et mon père mercier (et vice versa) : ils trépignaient de joie ».

     J’avais déjà parcouru quelques bonnes verstes (admirons ici l’encore plus improbable succession dans un même mot des sons r, s, t), lorsqu’un orage se déclara soudain, m’obligeant à me réfugier dans une grotte où je craignais qu’un ours, une ourse ou même un ourson ne vînt me déloger. Au prix de certaines contorsions, à la façon d’un contorsionniste, je m’étais partiellement enfoui sous la roche, au moins jusqu’au torse ; les branchages de pin formaient comme une herse devant mon visage. Je profitais de cette halte forcée pour sortir de ma besace un plat d’ers. Oui, d’ers : e, r, s, je sais bien que ce mot n’est jamais utilisé dans le langage courant, ni dans la littérature ; et je crois bien m’apercevoir que le mot ers n’est exploité que dans les mots croisés, où ers en trois lettres vient en synonyme de lentilles. Il nous appartient de réécrire l’histoire en y incluant ers, par exemple Esaü vendant son droit d’aînesse à son frère jumeau Jacob contre un simple plat d’ers. Je consommai donc mon plat d’ers, sur lesquelles j’avais versé par-ci par-là un filet d’huile d’olive. Bien que je fusse transpercé jusqu’à l’os, je profitai d’une éclaircie pour sortir de l’interstice rocheux (interstice, encore la succession r, s, t) où je m’étais incarcéré avec perspicacité (perspicacité, succession de r, s, p). Je m’extirpai prudemment, craignant quelque entorse du tarse ou du métatarse, mon épine dorsale passant au travers de fougères entorsadées.

     Si j’avais eu un Borsalino, pensais-je in petto, j’eusse été mieux protégé. Dégoulinant, je devais avoir l’air d’un sorcier hirsute sortant du bois des djinns où s’entasse de l’effroi. À propos, hirsute, quel drôle de mot ! C’est en tout cas le seul mot de la langue française que j’aie trouvé (je ne parle pas de nom propre), laissant entendre les sons successifs : i, r, s*), d’autant que je fredonnais un air de Purcell.

     Le soleil fit enfin son apparition à travers les branchages, véritable cerceau enrubanné de persil : on eût dit une tapisserie de Lurçat.

     J’écarquillai les yeux et observai la nature de mon regard aussi perçant qu’un tapis (un tapis persan, veux-je dire). J’étais tout près d’une source qui laissait entendre son perceptible murmure, comme des versets liquides égrenés en chapelet. Mais je n’étais qu’un modeste sourcier peu sourcilleux, un pourceau de sourcier, un sourcier sans ressource, incapable de décrypter la course du ruisseau, un sourcier au berceau, guettant comme un forcené les méandres du ru à travers les feuilles éparses parsemées de fleurs champêtres.

     La source, c’est l’amorce du ru ; la source, lorsqu’elle émerge de terre, c’est le garçon qui rencontre la garçonne ; c’est la course folle à travers les coursives naturelles ; c’est la rencontre d’un morse et d’un oursin aux environs de Koursk ; c’est la rencontre du petit Ursule avec sa nurse ; c’est la rencontre de Circé et de Parsifal ; d’Arsène et du Marsupilami ; du marsouin et de la marsouine ; c’est le moment où tout se corse.


     Sur ce, je dois vous quitter. Chers spectateurs, chers auditeurs, je ne puis que vous remercier. À part ça, je vous souhaite toute affaire cessante la belle année, une belle année de farce. Merci, encore merci.



* Ah, si ! Il y a le mot « thyrse »


(1) Lecture visible sur youtube